"Les peintres écrivent"

Une fois par mois Catherine Kunz nous plonge au cœur de la vie d'artistes et de leurs oeuvres.

Eugène Delacroix (1798-1863) était un peintre français de la période romantique connu pour son utilisation expressive de la couleur. Tout au long de sa carrière, il a incorporé des chevaux dans de nombreuses œuvres, souvent pour symboliser la force, la liberté et l'énergie.

Écrivain en marge, rivé aux mots, à l’écart de la société et de tous les courants littéraires, Ludwig Hohl (1904-1980) a très tôt revendiqué un parti pris d’opposition. Pendant ses séjours en France et en Autriche dans les années 1920-1930, L. Hohl vit l'expérience de l'errance d'un écrivain sans le sou. Il donne libre cours à sa fantaisie et à son lyrisme pour décrire les faubourgs, les artistes, les prolétaires, les prostituées.

Lecture Eugène Delacroix – Journal / Ludwig Hohl – Le petit cheval


Eugène Delacroix

Paris, 6 juin 1856

« J’ai été hier, en sortant de l’Hôtel de Ville, voir la fameuse Exposition agricole. Toutes les têtes sont tournées, on est dans l’admiration de toutes ces belles imaginations, machines à exploiter la terre, bêtes de tous les pays amenées à un concours fraternel de tous les peuples ; pas un petit bourgeois qui, sortant de là, ne se sache un gré infini d’être né dans un siècle si précieux.

J’ai éprouvé pour mon compte la plus grande tristesse au milieu de ce rendez-vous bizarre. Ces pauvres animaux ne savent ce que leur veut cette foule stupide; ils ne reconnaissent pas les gardiens de hasard qu’on leur a donnés. Quant aux paysans qui ont accompagnés leurs bêtes chéries, ils sont couchés près de leurs élèves, lançant sur les promeneurs désœuvrés des regards inquiets, attentifs à prévenir les insultes ou les agaceries impertinentes qui ne leur sont pas ménagées.

Le plus simple bon sens eût suffi pour convaincre de l’inutilité de cette réunion, avant qu’on ne l’ait effectuée. »

Ludwig Hohl

« Il faisait nuit depuis une heure déjà. Dans le tram, dans les rues, sur les affiches des cafés, partout résonnait une voix unique – que demain serait jour de fête, réveillon, Noël ! Et moi qui allais, quittant la ville, vers le petit village de pêcheurs isolé, où j’habitais seul, je ne célébrerais aucune fête. Je me tenais sur la plate-forme du tramway, parmi une foule de gens, dont pas un seul n’avait l’air triste. Et pourtant, malgré tout ce que je voyais, ne devait-il y voir des gens affligés, même en ces jours? N’était-il pas possible que, peut-être – dans une de ces grandes maisons silencieuses, loin des fenêtres – une personne soit justement en train de mourir ?

Terminus. Les lumières s’éteignirent, plus tôt que d’habitude, à ce qu’il me sembla; les employés étaient sans doute plus pressés que de coutume. Avec les rares personnes qui avaient fait le voyage jusque dans ce quartier des plus périphériques, je sortis, d’un bond, à cause du froid… et parce qu’il devait en être ainsi. Pourtant, alors que les autres disparaissaient rapidement, je me mis en chemin avec hésitation, un long chemin…; je le fis, parce qu’il devait en être ainsi. »

Une heure de plongée auditive au coeur des vies d'Eugène Delacroix et de Ludwig Hohl. 

Les textes ont été choisis et mis en forme par Christine Barbey dans le cadre de lectures données à l'Espace Catherine Colomb à St-Prex.

Bar et petite restauration dès 18h.